Le métier de facteur nous place parfois dans des situations poignantes.
Un jour que j’étais en doublure sur une tournée de campagne, formé par mon collègue me guidant depuis le siège passager, j’allais mettre le courrier dans une boîte aux lettres lorsque je vois la propriétaire, une très vieille dame, qui sortait de chez elle. Je lui donne son courrier et nous échangeons quelques mots. Amusée par le fait d’avoir deux facteurs pour la servir, nous plaisantons sur le sujet. D’un air faussement indigné, je fais semblant de m’insurger contre le fait de travailler à la place de mon collègue. En substance, je lui dis : « Je fais tout le travail, il y a quand même des choses injustes ! ». « Ah, ça… » me répond-elle, d’une voix que je croyais troublée par un rire. Mais ce sont bien des sanglots qui lui étranglaient la voix.
Elle nous explique alors qu’elle vient de perdre son fils. Veuve, elle avait également perdu son autre enfant quelques années auparavant. « Ce n’est pas normal, pas juste, de voir partir ses enfants », nous dit-elle, en s’excusant de ses larmes.
Les facteurs n’ont pas de formation particulière sur la psychologie humaine. Quels mots employer ? Faut-il forcément chercher à être réconfortant, au risque d’être maladroit, ou vaut-il mieux se contenter d’écouter ?
Il n’y a sans doute pas de bonne réponse. C’est plutôt, je pense, une question de feeling. Notre réaction ne sera pas la même selon la relation que l’on a nouée avec la personne. Mais pour moi qui rencontrais cette dame pour la première fois, comme pour mon collègue qui distribue ce village depuis des années, difficile de trouver les mots. Mais impossible de rester insensible devant celle qui aurait pu être mon arrière-grand-mère, marquée par de tels drames.
Il faut aussi savoir rester à sa place. Nous sommes facteurs, pas psychiatres. J’en suis convaincu, le fait que nous écoutions cette dame a suffi pour se révéler un tant soit peu réconfortant. Elle n’attendait pas autre chose de notre part que les quelques mots que nous lui avons répondus, avec le cœur et sans calcul, et notre oreille attentive. D’ailleurs, avant de la quitter, elle nous a remerciés pour notre gentillesse.
Et cet épisode prouve à mon sens que le facteur assure davantage que la simple mission de distribuer le courrier.